Actu du K
30
December 2020

Réveillon, soirées clandestines : pourrez-vous être condamné pour "mise en danger de la vie d’autrui" ?

Réveillon, soirées clandestines : pourrez-vous être condamné pour "mise en danger de la vie d’autrui" ?
Face à la multiplication des soirées clandestines à l’approche du Nouvel An, plusieurs enquêtes ont été ouvertes à l’encontre des organisateurs pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Mais cela tiendra-t-il devant les tribunaux ?

Les organisateurs de soirées clandestines par temps de Covid-19 mettent-ils en péril la vie de leurs convives ? Depuis l’entrée en vigueur du couvre-feu le 15 décembre dernier, l’ouverture d’enquêtes pour « mise en danger de la vie d’autrui » se fait de plus en plus fréquente à travers le territoire. C’est pour qu'ils répondent de ce délit que sont activement traqués, à Marseille, les individus à l'origine d'une méga-soirée clandestine, qui avait rassemblé cinq cents personnes en intérieur à la mi-décembre, selon le parquet de la cité phocéenne.

CONVOCATION DEVANT LE TRIBUNAL

Mais cette qualification n’est plus réservée aux seules fêtes hors normes. Samedi 26 décembre à Paris, des policiers ont interrompu une sauterie nocturne qui réunissait, elle, beaucoup moins de monde : quelque 60 personnes, dans un luxueux appartement de l’avenue Niel (17e arrondissement). Quarante-six des participants ont reçu une contredanse pour non-respect du couvre-feu, selon Franceinfo. Quant à l’hôte, il a été placé en garde à vue, puis convoqué à son tour devant le tribunal correctionnel pour « mise en danger de la vie d’autrui », comme le fait savoir à Marianne le parquet de Paris. Cet homme s'expose à un an d'emprisonnement et à 15 000 euros d'amende.

La préfecture de police de Paris a amplement communiqué sur cette affaire et quatre autres ce week-end, une probable démonstration de force à l’approche du Nouvel An et du grand nombre de fêtes privées que redoutent les autorités, autant de potentiels clusters qui pourraient faire repartir l’épidémie. Mais, si des amendes pour non-respect du couvre-feu ou tapage nocturne ont été généreusement distribuées contre les fêtards, ce délit de « mise en danger de la vie d’autrui » est-il adapté à la situation ?

RISQUE DE MORT OU DE BLESSURE GRAVE

Avocate pénaliste, Juliette Chapelle hausse les sourcils : « Je ne suis pas certaine que la qualification convienne. Ce qui me dérange le plus, c'est qu’une condition de cette infraction est l’exposition d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure grave. Je ne suis pas sûre que cette condition soit remplie. L’interdiction de ces fêtes est liée à la mesure de confinement. Or, pourquoi confine-t-on ? Avant tout parce que ce virus, dont il ne faut évidemment pas nier pas la dangerosité, submerge de malades le milieu hospitalier. »

Quels sont les profils que condamnent les tribunaux pour mise en danger de la vie d'autrui ? Des employeurs du BTP qui enfreignent les obligations de sécurité vis-à-vis de leurs salariés. Des médecins qui administrent des traitements contre-indiqués. Mais il n’y a, selon les spécialistes interrogés par Marianne, aucun antécédent en ce qui concerne l’exposition à une maladie comme le Sars-COV-2. Il y a bien eu des personnes condamnées lorsqu'elles transmettaient sciemment le virus du VIH à leur partenaire sexuel, mais toujours pour empoisonnement ou administration de substances nuisibles. « Là, dans le cas du Covid-19, on est dans la transmission potentielle d’une maladie qui, dans certains cas est mortelle », pondère Me Chapelle. Le taux de mortalité après infection étant à hauteur de 1,15 % en France, selon une étude de l’Impérial College de Londres.

INTENTION COUPABLE

De facto, toutes les enquêtes ouvertes ces derniers jours sont engluées dans un No Man’s Land juridique. Sans aucune certitude sur ce que décideront les tribunaux lorsque les personnes comparaîtront dans les prochains mois. Mais enquêteurs et parquetiers assument. Pour eux, le risque est constitué. Selon une magistrate parisienne, les appréciations se font « au cas par cas », en fonction de l'exiguïté du lieu, son aération, son nombre de participants, la durée du regroupement…

Le caractère lucratif de la soirée entre aussi en ligne de compte : le 12 décembre dernier, lors d'une soirée qui se déroulait dans un somptueux triplex à quelques pas de Matignon, demeure du Premier ministre, les 100 personnes réunies, sans masque, devaient s’acquitter de 100 euros par tête pour participer, selon BFMTV. Aux yeux des enquêteurs, amasser des bénéfices au mépris des considérations sanitaires pourrait constituer une intention coupable. Mais il y a peu de poursuites. Et les classements sans suite tombent comme à Gravelotte : sur les cinq personnes interpellées dans le week-end du 28 décembre, trois ont vu la procédure qui les concerne classée sans suite.

Derrière le recours à ce délit, Me Chapelle voit « une instrumentalisation du droit pénal pour faire respecter une mesure de confinement ». Une manière pour les forces de l'ordre de dissuader le plus possible ceux qui s'aventureraient à organiser des fêtes illicites à l'avenir ? Gendarmes et policiers sont, il est vrai, assez démunis face à ce phénomène. Si elles se déroulent dans un lieu privé, les soirées ne sont formellement pas interdites. Elles ne peuvent d'ailleurs pas l'être, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans une décision à la sortie du premier confinement, où il précisait que l’interdiction de se réunir à plus de 10 personnes en public ne pouvait pas s’appliquer à l’espace privé.

Ce garde-fou a empêché le gouvernement de réglementer les soirées privées, car il n’a aucun moyen de le faire. Par conséquent, les policiers et gendarmes ne peuvent pas interrompre une fête clandestine, sauf s'ils sont appelés par une voisin mécontent ou bien constatent, depuis la rue, un tapage nocturne.

Par Paul Conge

Retrouvez l'article également sur le site du journal Marianne en cliquant ici

Vous pouvez solliciter le cabinet Chapelle Avocat, avocat pénaliste à Paris, en allant sur la page Contact ou en nous envoyant un email à cabinet@chapelleavocat.com

Articles similaires